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Le Libre côté matériel

A antanak    


Texte de l’atelier de réflexion du 14/06/2015 - Relevé des échanges

Du Matériel Libre ? ou Le Libre côté matériel
Comment le libre préfigure-t-il d’une capacité de réappropriation des objets et supports du numérique, et jusqu’où il entre en résonance avec le partage, le réemploi, la lutte contre le gaspillage (matériels & ressources) et contre la fracture numérique.

Introduction
On connaît tous – surtout vous, libristes et autres présents à cette journée, déjà informés de ces sujets ! — les raisons d’être du libre, les principes clefs, le fonctionnement des communautés, …. Et on partage l’immense intérêt de cela. Notre sujet pour cet atelier de réflexion concerne le matériel informatique.
On constate les liens ’immédiats’ entre Logiciels Libres et Matériel Libre et ce que les Logiciels Libres nous permettent d’ores et déjà côté matériel : au-delà de ’valeurs’ qui peuvent être communes (le partage, la coopération, le non propriétaire, ...), des pratiques peuvent être mises en œuvre car le ’couple’ hardware/software est indissociable. Tous deux ont des évolutions en parallèle, communes ou fracturées, mais en tout cas reliées tant pour les développeurs que pour les utilisateurs.
Les nombreux systèmes d’exploitation dans la galaxie GNU/LINUX, les versions et les distributions permettent de choisir le plus adapté d’entre eux à l’utilisation cible d’un ordinateur, et à ses propres capacités (performances, CPU, mémoire, … etc.). Un vieil ordinateur qui est trop lent pour un Windows XP ou 8 (au-delà du choix de base du libre comme non propriétaire, et gratuit) est bénéficiaire d’une distribution par exemple avec XUBUNTU ou DEBIAN qui permettra de prolonger son utilisation.
Le Libre limite donc l’obsolescence du matériel informatique – ou en tout cas permet de contrecarrer ses effets.

Les libertés et activités évoquées par le libre sont bien vivantes ; et on en parle dès qu’on entre dans cette sphère. Par contre on parle moins des questions sur la ’non liberté’ côté matériel !
Quand on achète un ordinateur neuf, même pour y mettre ensuite un système d’exploitation GNU, Linux ou Ubuntu, et s’en servir avec des logiciels libres, qu’est-ce qu’on fait ? A quoi on participe ?
Et celui qu’on avait avant ce nouvel objet avec les tout derniers gadgets intégrés, on en fait quoi ?
Comment peut-on augmenter les capacités qu’apporte le Libre par des pratiques ’responsables’ s’agissant de la consommation, de l’utilisation, et de la décision de réduire un ordinateur et ses composants à des déchets ?

1/ Les conditions de la construction des ordinateurs ne sont pas assez connues, communiquées ni prises en compte dans les achats.

Savez-vous ce qu’il y a dans un ordinateur ? faisons une liste rapide !...
Du plastique, de l’acier, du fer, de l’or, du platine, de l’étain, …
Mais aussi des métaux et des terres rares :
 du plomb (verre des écrans cathodiques – certaines soudures des circuits imprimés)
 du mercure (pour les écrans plats et pour les interrupteurs)
 du cuivre (les câbles, les liaisons entre transistors pour le micro-processeur)
 du béryllium (pour la carte-mère, en association avec le cuivre)
 du cadmium (pour les piles, les puces, les semi-conducteurs)
 du néodyme (pour les condensateurs, dans les disques durs pour le positionnement des têtes de lecture)
 … etc.

Où trouve-t-on ces matériaux, ces métaux et ces minerais ?
Les métaux et terres rares se trouvent principalement en Chine, en Inde, mais aussi en Indonésie, et dans des pays d’Afrique.
L’extraction et l’incidence sur les populations présentes sur les sites en Asie, en Afrique, en Amérique du Nord ou du Sud, ….. Il y aurait beaucoup à dire à propos des gens que l’on chasse de leurs lieux de vie, en prenant possessions de territoires leur appartenant historiquement – sinon financièrement au sens de la propriété capitaliste, à propos de l’exploitation des travailleurs dans ces exploitations de gisements fossiles, et les conditions de vie qui sont les leurs.
L’incidence écologique, sur l’air et la terre et l’eau ainsi pollués. 400.000 litres d’eau sont nécessaires pour construire une voiture ; combien pour un ordinateur ? Plusieurs milliers de litres également ...
Enfin, les sites de fabrication / assemblage des ordinateurs impliquent beaucoup de transports (ils viennent de Chine ou d’Inde essentiellement) et l’énergie qui va avec ...
Comment on peut avoir un pouvoir là-dessus ? Comment on agit pour que ça dise ce qu’on en pense, ce qu’on refuse et pourquoi ? Quelles exigences peut-on avoir sur ce qu’on achète ensuite, qu’on « consomme » ?

2/ La ‘vie’ de l’ordinateur et du matériel périphérique – cycle et obsolescence programmée, peu ou pas d’éco-conception

On constate
 l’utilisation de matériaux dont on sait pertinemment bien qu’on ne sait pas les recycler, ni même les parfois les réutiliser, une fois ‘fondus’ dans l’ensemble composite (ex : on récupère le cuivre mais on ne sait pas séparer tel autre métal).
 le peu de recherche réalisée pour des matériaux d’un autre type – même si un discours existe sur ces sujets, on ne voit pas beaucoup de réalité à l’éco-conception pour le matériel informatique
 les réparations qu’on ne peut pas faire à cause des blocages voulus par les constructeurs ; Les distributeurs poussent à changer d’ordinateur plutôt que de pile, ou de condensateur ou de diode ! Les empêchements à réparer ou changer des pièces et les injonctions publicitaires à acheter toujours plus mieux moins cher que la réparation : le sacro-saint critère du coût (« ce sera plus cher de réparer que de changer »), qui est la base de l’économie capitaliste, nous entraîne à ne plus voir qu’en faisant ce choix, on obère des tas d’autres critères qui pourraient être les nôtres.
 le peu de normes ou de standards sur des pièces pourtant « identiques » en termes de fonctionnements ou de fonctionnalités (les versions matérielles) – même jusqu’aux câbles et aux batteries qui sont tous différents d’une série d’ordinateurs à une autre, y compris chez une même marque ...
 le secret des procédés industriels de fabrication (comme pour beaucoup d’autres productions), la miniaturisation des objets – depuis la tour jusqu’au mobile, en passant par les portables et les tablettes pour lesquelles démonter est une gageure et réparer quasi impossible.
Pas très libre tout ça !!
Quelles actions et quelles communications plus larges sur ces thèmes, dans le cadre d’une éducation populaire soutenue ? Quelles exigences vis à vis des fabricants ?

3/ L’utilisation de l’ordinateur

Des échanges sont indispensables autour de :
 L’utilisation personnelle : avoir un ordinateur plutôt que l’utiliser ? – le peu de lieux collectifs gratuits et partagés, accessibles simplement
 Le changement obligé pour avoir les toutes nouvelles versions de certains logiciels
 L’énergie que consomme un ordinateur : électricité produite ; des études sur la conso des ordinateurs … parfois allumés toute la nuit (même seulement branché sur une prise sans interrupteur, un ordi consomme parfois de l’électricité)
  Les gestes simples dont on ne parle pas : ouvrir son ordinateur, aspirer les poussières du ventilateur, nettoyer au pinceau doux certaines pièces, … autant d’actions d’entretien qui prolongent la durée de l’ordinateur, dont on doit pouvoir prendre soin !
 Les injonctions sur la rapidité (du processeur par ex.) ou les capacités/performances (de la mémoire vive par ex.) sont-elles à la mesure des réels besoins et utilisations qu’on en fait ? Éloge de la lenteur !
 Des formes de manipulations sur les besoins réels : vraiment utile ? le tout « dernier cri » comme ils disent …. Mais si je n’ai pas envie d’entendre le crieur de la place publique, j’ai le droit non ?
 Sauf pour les jeux vidéos (une industrie lourde pour laquelle il y a encore trop peu de choses sur internet, ne requérant pas de système client) on n’a pas besoin obligatoirement de ces ’performances’ ... ; et même pour les jeux, on pourrait privilégier la mutualisation, l’utilisation d’ordinateurs collectifs plutôt qu’un achat personnel … comme pour les imprimantes, et les imprimantes 3D –- qu’il n’est pas toujours utile réellement d’avoir chez soi, ni même efficace (têtes de lecture qui se bouchent, prix des consommables qui ont séché, ...)
Comment on ’sort’ de cette consommation forcenée ? Quel discours et quelles actions réelles ? quelle adéquation besoins/utilisations/matériel nécessaire peut-on définir pour soi ou pour un collectif ?

4/ D’un petit ordinateur aux centres de données, aux serveurs, … côté matériel et connexions aux réseaux

Les bases énormes de stockages des données ; des espaces gigantesques – ayant une incidence environnementale qu’on ne maîtrise pas encore (quid des ondes magnétiques ?) – outre l’espace utilisé à la place d’exploitation en agriculture biologique par exemple ...
L’utilisation de nos données personnelles via ces centres serait également un autre sujet dont on pourrait s’occuper !! la confidentialité, la liberté et la sécurité sont des thèmes essentiels ici aussi .
L’énergie pour ces réseaux, les infrastructures : les serveurs fonctionnent en permanence. On dénombre (selon les sources) entre 250 et 490 millions de serveurs-hôtes dans le monde (donnée 2010) ; ils font tourner 14 centrales électriques.
Mais aussi l’énergie nécessaire pour nos activités sur ces réseaux ; 1 recherche sur internet = équivalent de 1 heure d’une ampoule à économie d’énergie ; 1 téléchargement d’un quotidien = 1 lessive ; 1 box allumée tout le temps pendant 1 an = 1 réfrigérateur de 200 litres pendant 1 an.
Quelles actions concrètes pour la réappropriation des effets sur les données, sur l’activité sur internet et la communication par mail, sur la gestion de l’énergie que cela implique ?

5/ La fin – notion de déchet, les D3E

La notion de déchet est dans l’inconscient collectif comme sale – inutilisable
Alors ça n’intéresse personne les poubelles … pour le moment ….
Et où mettriez-vous l’ordinateur dont vous n’avez plus l’usage ? dans la poubelle jaune ? dans une déchetterie ? sur le trottoir ? ou bien vous le cachez à la cave ?
On savait recycler les écrans cathodiques ; on ne recycle pas les écrans plats … Oh c’est bizarre : on a fait en sorte que tout le monde achète des écrans plats pourtant (moins d’encombrement, moins de poids, … portabilité).
Le démantèlement a un coût : financier mais aussi de santé publique – ex : des poudres qui s’échappent des matériels lors du démontage d’un écran…. On a renoncé au plomb des écrans cathodiques, mais au profit du mercure des écrans plats … pas sûr que ce soit mieux en terme de risque pour la santé ...
On nous parle d’incinération comme d’une "Valorisation énergique" ; en fait il s’agit majoritairement de stockage et d’enfouissement d’un « solde de déchets » non traités. Que savez-vous / que savons-nous de ces ’déchets ultimes’ ? Avons-nous une vision claire ou bien est-ce du genre « dormez bonnes gens on s’occupe de tout » ?
Il y a comme un nouveau ‘marché’ que voient venir les industriels, qui s’y préparent pour à nouveau croître sur le dos des ‘consommateurs’ que nous sommes. Il y a donc ici un bien commun, fait de ces ressources dites déchets, qu’il nous faut connaître, maîtriser, pour pouvoir décider ; c’est un enjeu politique de taille.

« Mais – nous direz-vous, des gens font déjà des choses, non ? » - « Oui mais quoi ? »

On voit se dégager de premières transformations : d’une vision linéaire
(Conception > Fabrication > Transport > Vente > Usage > Déchets > ???)
à une vision circulaire … par exemple :
1. Réemploi objet complet
2. Réutilisation de parties / composants
3. Recyclage destruction > matière première secondaire

L’état des lieux qu’on fait est le suivant : il y a les vendeurs du réemploi (comme EMMAUS et ENVIE), des associations ou des entreprises qui récupèrent, réparent et font partir vers des pays dits ’en voie de développement’ du matériel ainsi reconfiguré … mais sous couvert de dons, n’est-on pas là aussi dans un mode de débarras de nos déchets ?
Il y a plusieurs ressourceries qui essaient de faire en sorte que le réemploi ne soit pas plus coûteux que l’initial – car ces structures ont évidemment des enjeux économiques aussi (et généralement des salariés – voyez par exemple les 17 personnes de la ressourcerie la petite Rockette dans le 12ème à Paris). Mais leurs difficultés sont le temps que cela prend de trier, de démonter, de réparer … alors qu’on ’exige’ de ces structures une ’rentabilité’ ou a minima une capacité d’autofinancement – bien qu’elles œuvrent pour le bien commun.
Il y a les EPN qui récupèrent, communiquent, enseignent, partagent, …  elles ont des actions locales indispensables – et une grande antériorité sur ces sujets – mais ne sont pas assez soutenues, pas assez connues et surtout en danger sur la durée.

Chez ANTANAK et dans d’autres associations en France (Nâga à Nantes, LLV à Vanves, ou d’autres, à Quimper, à la Rochelle, à Rennes, …) on est parti sur la logique du don. On nous donne des ordinateurs, on les donne aux adhérents et on en met à disposition partagée gratuite. On récupère, on reconditionne / reconfigure / répare quand on peut, puis on donne le matériel. En partageant ces savoirs avec les adhérents qui reçoivent un ordinateur, on se dit qu’il y aura une chaîne qui existera sur la durée … en plus du lien social que cela crée.
Il nous faut aussi lutter contre la culpabilisation qui empêche au lieu d’impulser ! ne pas avoir peur, ne pas rester ignorant sur les axes techniques : tout s’apprend ; ne pas se laisser berner sur la réalité (dans la construction, dans le traitement des matériaux et des métaux) ; ne pas laisser ces sujets essentiels aux seuls (soi-disant) experts !!
L’éducation populaire comme base de sensibilisation de tous et toutes.
On aura plus de mal à jeter un ordinateur qu’on aura monté soi-même, dont on aura compris le fonctionnement et qu’on aura amélioré … voire même peut-être on supportera mieux une certaine lenteur qui permettra d’échanger avec son voisin pendant que ça charge !!
Pour sortir de la consommation absolutiste, qui engage chacun-e à acheter la dernière version d’ordinateur ou de tablette ou de téléphone portable.
Mais aussi il nous semble qu’il faut encore et encore raconter, partager ces sujets, expliquer tout cela, et multiplier les initiatives personnelles ou collectives : ouvrons les ordinateurs, réparons-les et expliquons/publions les difficultés surmontées et les astuces trouvées, partageons des stocks de circuits imprimés, de condensateurs, … ou tout autres pièces détachées, mettons en place une gratuité des composants utilisables, ...
Le libre date des années 1980. Il a donc fallu au moins 30 ans pour que le concept et la réalité quotidienne prennent de la place. On a intérêt à commencer vite à s’intéresser au matériel libre si on veut que ça donne quelque chose avant 2040 !!!s

Ainsi on a 3 projets à vous soumettre ; on voudrait élaborer au niveau de Paris et la petite couronne :
 une banque du matériel libre, disponible à l’échange ou au don : des ordinateurs, des UC, des pièces détachées (cartes mères, diodes, barrettes de RAM, …), pour pouvoir partager selon les besoins de chaque structure (association, ressourcerie, EPN, ...)
 une cartographie des configurations requises en terme de matériel pour les distributions GNU/LINUX qui sortent : les bases en termes de composants pour que telle distribution fonctionne tranquillement pour tel type d’utilisation ; cette carto pourrait être alimentée d’une part par les libristes qui optimisent et améliorent les OS existant dans la galaxie et d’autre part par les personnes qui font ces expériences d’installation.
 une base de données des personnes ressources, en capacité de soutenir / aider / former à l’installation, la réparation, … le reconditionnement et la reconfiguration des ordinateurs. Ces personnes ressources pourraient judicieusement donner un coup de main, comme lors des install party organisées régulièrement par PARINUX – comme aujourd’hui ici – sur les sites des structures du territoire.

Rendez-vous lors de prochains ateliers de réflexion, pour la mise en place de ces sujets !